Sunday 20 November 2011

une île au bout du monde: la Géorgie du Sud...


Quatrième jour de navigation en mer, sur le chemin du retour aux Falklands…. Nous devrions arriver à Port Stanley demain en journée, et Samedi nous serons à Santiago del Chile.
J’appréhende un peu la violence du contraste entre ce que nous avons vécu pendant tout ce mois sur les côtes sauvages de Géorgie du Sud, et la cohue bruyante, moderne de Santiago…
Pour l’heure, la nuit a encore été mouvementée , avec une houle courte et croisée qui fait tanguer et surtout rouler le bateau…Même scénario qu’au voyage aller : sommeil difficile la nuit, déplacements périlleux à bord durant la journée ! Il faut constamment essayer d’avoir trois points d’appui, tenir son bol sous peine de vol plané impromptu…du bol et de son propriétaire!

Nous ne sommes pas tous égaux face au mal de mer. Quand certains continuent à vivre comme sur le plancher des vaches, d’autres s’amarinent avec plus ou moins de bonheur : il faut oublier l’équilibre terrestre et apprendre la géométrie marine ; celle ou les verticales glissent en diagonales… Accepter les hauts-le-cœur et le sauvetage de la bassine, sentir ses intestins en apesanteur, et subir la lévitation en pleine nuit sur sa couchette !!...
Dans ma cabine les hublots sont régulièrement noyés, et l’arrière du bateau bascule sous l’horizon bleu acier des vagues. Certaines déferlantes, sans être gigantesques, frappent le bateau comme si un bloc de glace heurtait la coque. L’océan palpite et c’est beau ! Mais curieusement,  je ne me sens pas à ma place…
Nous sommes sous les 50e hurlants, dans les mers les plus agitées, les plus hostiles au monde et traverser une partie de cet océan austral, 750 miles au total, est le prélude incontournable à notre destination : La Géorgie du Sud.

Une île de démesure sauvage, où l’homme n’a pas sa place… Ce conféti de 170 km de long sur 30 de large à son maximum, est un concentré de toutes les montagnes du monde! Les glaciers, vastes et plats ou suspendus aux parois, disputent le terrain aux milliers de pics acérés, dressés vers le ciel comme des canines givrées.

La partie centrale est la « plus épaisse » et la plus variée au niveau relief.
Sa côte Nord nous accueille avec une enfilade de sommets rocheux peu élevés (800-1200m max) reliés par de belles combes enneigées, souvent raides.
En arrière-plan, l’impressionnante chaîne de l’Allardyce. Ses hauts sommets s’envolent à 3000 mètres au-dessus de l’océan, et semblent « garder le temple »… Et si le nuage orographique qui les enveloppe souvent, daigne disparaître, on reste coi d’admiration devant ces montagnes : majestueuses par la pureté de leurs lignes fuyantes, ou monstrueuses par l’enchevêtrement anarchique de séracs, rocs et champignons de glace dont elles sont habillées.
Une véritable barrière himalayenne….
Tout au long de la côte de gigantesques glaciers « vêlent dans l’eau », entaillés de profondes crevasses, hérissés de séracs chaotiques.
Les somptueuses baies où la glace a disparu? Elles sont maintenant le royaume des animaux, qui par centaine de milliers, annexent toutes les plages pendant la période de reproduction…
…Une île balayée par des vents forts, qui drapent les sommets de langues nuageuses dévalant le long des raides versants, ou les enveloppent d’un nuage orographique gigantesque, en perpétuelle activité…
A terre ce sont les rafales violentes qui te surprennent et te couchent sur la neige, puis disparaissent comme un fantôme dans la minute qui suit…
Une île où l’engagement est total car pas de secours, pas de carte ni d’infos précises, pas de météo fiable… Chaque jour apporte sa part d’incertitude, de découverte, et c’est excitant !
Mais pas d’inquiétude qu’on se prenne pour des héros ! On garde un verbage modeste et discret quand on a lu « l’odyssée de l’Endurance », de sir Ernest Shackleton. De son temps c’était vraiment une question de vie ou de mort…

Nous savions que l’objet de ce voyage ( l’exploration à ski de l’île ) pouvait tenir ses belles promesses, ou se réduire à une longue attente dans le carré du bateau!!...
Notre opportunisme nous a porté chance ! Le déclic aura certainement été de ne pas se focaliser sur la traversée classique de Shackleton, à réaliser sur plusieurs jours avec nos pulkas. Nous avions pourtant tout prévu pour cela, mais la mauvaise météo à ce moment-là de notre séjour, ne nous permettait pas de réaliser ce parcours dans de bonnes conditions, et nous aurions perdu un temps précieux à attendre le bon créneau.
Nous avons aussitôt privilégié une option « sortie à la journée », plus souple et plus adaptable à la météo très changeante. Cette tactique nous a plutôt réussi : nous avons ainsi pu profiter des bonnes journées (et il y en a eu un certain nombre !) pour réaliser de magnifiques traversées et ascensions de sommets.
Peut-être avons-nous été les premiers à fouler certaines montagnes sans nom… Dans le doute on s’abstiendra de revendiquer quoi que soit, d’autant plus qu’on s’en f… !!... Quoique… épingler un nom basque ou catalan sur la carte anglaise de la Géorgie... Mais on ne va pas en rajouter ! On vous a déjà battu lors de la coupe du monde de rugby!...

Nous préparons un album et un film que vous pourrez vous procurez fin hiver 2012.
L’album reprend le carnet de bord de Jean-Jacques Somdecoste dit Jakes. Il retrace avec beaucoup d’humour l’ambiance humaine de notre expédition ! A lire sans modération…

En attendant,  je vous trace quelques courbes personnelles de notre fabuleuse exploration...
Que ces petits traits de pinceau puissent vous aider à imaginer le tableau de ce voyage mémorable, fait de 24 journées de cabotage sur les côtes de Géorgie du Sud…

6 octobre : Elsehul Bay, notre première sortie sur l’île !
Après quatre journées à se faire brasser en haute mer, le Hans Hansson s’immobilise tard dans la nuit du 5 au 6…
Au matin nous débarquons sans les skis à Elsehul, le seul isthme de l’île. vingts minutes à pied suffisent pour passer du nord au sud de l’île, d’Elsehul à Undine Harbour… Les premiers animaux croisés nous émerveillent comme des gosses !
Sous ses latitudes extrêmes la lumière est extraordinairement lumineuse, malgré le temps couvert : dégradés de gris dans le ciel, rivage turquoise bordé d’une fine banquise… D’entrée, le dépaysement est total, empreint d’un forte sensation d’isolement, de solitude…

9 octobre : tentative au Warbutton peak (850m)
La veille nous avons skié par une magnifique journée ensoleillée mais aujourd’hui nous débarquons sur la plage de Sunset Bay… sous une pluie fine et cueillis par une bise fraîche !
Premières foulées encordés sur glacier et merci déjà au GPS, car le jour blanc ne nous quitte pas de la journée ; nous sommes contraints de shunter notre objectif.
L’ambiance devient glaciale à la descente quand le vent redouble de force, et la raide sortie du glacier nous questionne, faute de visibilité.
Nous rentrons gelés, en échappant de peu aux violentes rafales qui arrivent à faire gîter le bateau !
Sur la route de Prince Olaf Harbour, Dion notre capitaine nous arrête à quelques mètres de l’immense plage de Saliesbury Plain, peuplée de manchots royaux : la troisième colonie la plus importante au monde ; 130 000 couples !!  C’est à la fois impressionnant et émouvant de voir cette marée de pingouins, agglutinés les uns aux autres pour faire face au vent tempétueux et glacial, sur cette plage sans fin…
Cette vision est complètement hors réalité humaine, et ce décalage total assène d’un coup la dimension sauvage, extrême de cette île du bout du monde…

10 octobre : traversée de Possession Bay à Antartic Bay (1ère journée de la traversée de Shackelton)
Une rampe sur le glacier de Possession Bay, exposée aux chutes de sérac, nous permet de prendre pied sur l’immense plateau glaciaire. Le temps est hésitant… Lumières blafardes hivernales, ambiance mystérieuse où d’inquiétantes pyramides noires se dressent vers le ciel comme les sentinelles d’un royaume interdit… Le groupe est loin devant moi, comme de petits insectes figés par le gel…
Au col, la visi ne s’améliore pas et tout se confond ! les sentinelles nous avaient bien mis en garde ; ce versant n’est vraiment pas accueillant..
Les pentes sont raides et crevassées, elles se perdent « en bas » dans un jour blanc, usant nerveusement. On s’encorde en laissant beaucoup d’espace, et notre trace d’abord montante, finit par plonger sur ces pentes de plus en plus fuyantes : 2 heures pour faire 200m de descente dans une neige foireuse, au-dessus de séracs et barres rocheuses, à éviter les crevasses à peine visible… On finit quand même par sortir de ce traquenard, et rejoindre des pentes douces plus accueillantes.
C’est sur le dernier plat que les premières rafales se font sentir ; j’étais à l’arrière du groupe et je voyais toutes les cordes dessinées de grandes ellipses adossées au vent ! Puis c’est nous qui avons fini par courber le dos, s’arcboutant sur nos bâtons, le temps du bref passage de ces puissants rafales. Un avant-goût des fameux vents catabatyques qui font peur à tout le monde ?…
La fin du glacier est un mur bleuté planté dans les eaux couleur menthe à l’eau d’Antartic Bay. Nous surplombons la baie sans pouvoir deviner où descendre ! De son bateau Dion nous indique par radio, la petite porte de sortie du glacier ; une traversée suspendue au-dessus de l’eau qui donne accès au rivage sans plage… Sublime…
Superbe journée bien que stressante, dans un cadre extraordinaire !

11 octobre : traversée Antartic Bay à Fortuna Bay (2ème journée de la traversée de Shackelton)
Jean-Marc s’est levé dès 5 heures pour capter les magnifiques lumières du ciel, et les curieuses formes des nuages travaillés par le vent… Il fait beau et froid ; les « growlers » (petits icebergs) ont envahi la baie, l’ambiance est définitivement polaire .
Nous trouvons un point de faiblesse dans le glacier et grimpons skis sur le dos, un raide mur de neige. Chris et Luis à bord du dinguy nous surveillent, au cas où l’un d’entre nous serait tenté de glisser sur ce tobbogan naturel qui finit directement à l’eau ! Cette escalade facile au cœur du glacier et de la baie est géniale…
Au-dessus le glacier s’adoucit comme hier, pour devenir immensément vaste et plat. C’est parti pour une dizaine de bornes, ambiance Spitsberg ! De magnifiques pics aux parois sévères se dressent au loin, habillés de linceuils nuageux en perpétuel mouvement.
Il fait chaud mais chaque coup de vent fait chuter instantanément la température !... Après le pique-nique nous rejoignons le col traversé par Shackleton en mai 1916, en vue de Fortuna Bay. Son itinéraire passe par le vallon de droite mais nous sommes vraiment attirés par celui de gauche !
Nous nous laissons griser par nos virages dans cette douce combe… Mais celle-ci se transforme peu à peu en couloir, dont la sortie devient soudainement hypothétique! Jean-Marc s’approche prudemment de la forte rupture de pente, et me fait venir pour que je surveille ses premiers virages.
Le premier ressaut raide franchi, il reste à trouver la sortie de ce couloir sans issue! Jean-Marc passe alors un éperon et plonge finalement facilement dans un vallon secondaire, pour déboucher sur l’immense plage de Fortuna Bay. Nous nous retrouvons au milieu d’une grosse colonie de manchots royaux, que nous prenons soin de ne pas effrayer… Animaux placides mais merveilleux avec leur plumage aux couleurs vives, gris et orange !
Tout le monde a la banane après cette somptueuse journée, d’autant plus que Jakes vient d’apprendre que l’on a battu les anglais en quart de finale de coupe du monde de rugby ! Steve et Chris sont déçus, Jiji et Jakes exultent comme des gosses et jacassent comme des pies pour déterminer à qui en revient le mérite : Les quatre basques de l’équipe nationale ou l’entraîneur catalan ???...  

13 octobre : visite du musée de grytviken, la réalité des stations baleinières
Après une magnifique traversée de la baie de Maiviken jusqu’au sommet du Mont Hodges, un couloir étroit nous dépose sur le quai de Grytviken… 8 personnes vivent à l’année ici, ravitaillé par bateau depuis les Falklands. L’administration locale a aménagé un petit musée qui parle de l’île, de sa faune et flore, des différentes explorations… Mais le plus intéressant pour moi aura été le témoignage qu’il représente, de la vie des « pêcheurs-tueurs » de baleines.
La graisse de baleine était alors l’équivalent de notre pétrole actuel et on s’en est longtemps servi pour un tas de choses de notre vie courante :
Les grandes quantités d’huile servaient pour l’éclairage, le chauffage , la cuisine, le graissage des mécaniques de précision, les produits cosmétiques. L’ambre gris servait à fixer les parfums, et la viande salée était consommée. Les os servaient comme matériau et le cuir était utilisé dans la fabrication de ceintures.
Quant aux fanons ils étaient utilisés dans la fabrication des parapluies et corsets.
A l’époque la demande était donc forte, la pêche très rentable : c’était un moyen sûr de faire de l’argent en peu de temps.
Un recueil de témoignages explique pourquoi ces marins anglais et norvégiens signait pour minimum deux ans dans cet enfer rouge de sang, aux odeurs permanentes de mort. L’appât du gain d’abord pour la plupart, puis venait la fascination de l’île... Et enfin une ambiance de camaraderie peu commune ; difficile de vivre sans, quand on y avait goûter ! Bref les marins revenait souvent pour une nouvelle saison, même si les conditions de travail étaient très difficiles et dangereuses.
Ce qui m’a choqué c’est l’organisation industrielle avec laquelle on tuait à grande échelle le plus gros mammifère vivant… Une extermination ahurissante, une boucherie phénoménale, symptomatique de notre prédation sur la planète!
Avec le progrès technique (bateaux plus rapides, chasse au harpon explosif) le rapport de force s’inverse, et en 1917, une flottille tue à elle seule plus de 4000 baleines au large des côtes de Géorgie du Sud…
En 1930 on estime à 50 000 le nombre de baleines bleues tuées sur toutes les mers du globe !
Les 330 000 baleines vivant en antartique au début du XXème siècle ne sont plus que quelques milliers aujourd’hui, et au cours de ce mois d’octobre 2011, en 32 jours de mer et 4000 miles parcourus, nous n’avons vu aucune baleine, pas même aperçu un souffle aux jumelles !...
En 1960 toutes les stations baleinières ferment, du jour au lendemain, en laissant tout sur place ! des tonnes de victuailles et de carburant, des bateaux, du matériel de cuisine, de pêche, de l’outillage en tout genre ; cela leur coûtait plus cher de tout ramener… Ces vestiges hantent encore bon nombre de baies de la côte Nord et ne seront plus démanteler maintenant ; on a préféré en faire des musées à ciel ouvert, même s’il est totalement interdit d’y pénétrer pour raisons de sécurité !

Je récapitule : on assassine sans état d’âme pendant plus d’un siècle. Quand « la chose » est finie par manque de rentabilité, on laisse tout pourir et rouiller… Et comble de l’ironie, on le justifie en classant les vestiges et l’oeuvre des ces marins patrimoine historique, et ce sur une île dont on veut sanctuariser la nature !!! L’Homme n’en n’est pas à une contradiction près, mais je m’interroge toujours sur l’immense décalage entre l’évolution lente de nos consciences, et celle (trop rapide !) de nos techniques…

 16 octobre : journée à St Andrew bay
Une courte navigation un peu houleuse aura eu raison de la moitié de l’effectif ! Aujourd’hui le zodiac nous dépose en petit comité, à St Andrew Bay. Le vent est fort et glacial et ne faiblira pas de toute la journée.
Nous avons l’ambition de faire une grande boucle sur les glaciers Heaney et Buxton, pour approcher les hauts sommets de la chaîne de Salverse qui sont plus proche de la côte à cet endroit. Mais les distances sont trompeuses, et le col envisagé, impraticable.  Qu’importe, nous découvrons un autre passage qui nous permet de basculer sur le glacier Buxton.
Cartes et GPS ne suffisent pas sur ce terrain accidenté, et il y a quelque chose de vraiment grisant à trouver son chemin uniquement en lisant le terrain, en imaginant un itinéraire pas à pas !
Derrière le col, hésitation; la neige glacée en surface n’est pas très engageante à ski…Elle ne pardonnerais aucune chute et tout en bas, les crevasses veillent comme les crocodiles au soleil ; la gueule ouverte… Nous descendons donc en crampons, encordés et skis sur le sac, mais sans frustration : nous parcourons ce terrain alpin heureux, en symbiose avec les éléments, en admiration devant le chaos de cette barrière de sérac qui nous fait face…
Le retour sur St Andrew Bay est ahurissant ! Nous skions au ralenti au milieu de milliers de manchots qui squattent toutes les collines dominant la baie… Nos oreilles sont remplis de leurs chants métalliques, et nos narines ne peuvent éviter les odeurs nauséabondes provenant tantôt de leurs excréments verdâtres, ou des nombreux cadavres des nourissons…
Ces derniers, tout habillés de duvet marron, sont vraiment craquant ! Ils sont très curieux et viennent volontiers par petits groupes à notre rencontre, puis s’arrêtent à un mètre et nous observent… Soudain l’un d’entre eux détale en zigzagant et en battant des ailes frénétiquement, et s’affale maladroitement sur ces petits frères!!...
Ici le beau et l’émouvant côtoient le cruel et la fragilité de la vie…
Plus loin nous nous retrouvons coincé entre un large torrent fougueux et les femelles éléphant de mer qui ne nous voit pas d’un bon œil, si proches de leur progéniture ! On s’est un peu fourvoyé sur le chemin du retour et on en mène pas large : Imaginez la côte d’Azur en plein été et remplacez les touristes entrain de cuire au soleil par des milliers d’éléphants de mer !! Les mâles braillent et se dressent pour défendre leur harem (environ un mâle pour 100 femelles !) et malheur au p’ti jeunôt qui lorgne sur l’une d’entre elles : il se fait chasser manu militari par le doyen !
C’était une journée ordinaire de ski en Géorgie du Sud…

19 octobre : Navigation dans Drygalski fjord : austère et inquiétant mais incroyablement beau !
la traversée de Wirik Bay à Salomon Bay fût une magnifique journée ensoleillée. En haut du premier col nous repèrons un beau sommet planté au milieu du glacier ; ce sera l’objectif du jour… Il fait tellement chaud qu’on s’octroie même une petite sieste au sommet !
Après une superbe descente et une impasse sur la rive droite du glacier, Dion vient nous récupérer sur la plage de la rive gauche et nous annonce que nous pouvons entrer dans le Fjord Drygalsky. Ce n’est pas toujours possible car quand le vent se lève sur les hauts sommets de l’île, il s’accélère en descendant sur le glacier ? et déferle sur le fjord avec une force inouïe ! Aujourd’hui nous n’aurons que 60 noeuds de vent quand nous arriverons au bout du fjord…

Dès l’entrée de l’étroiture, de hautes pyramides rocheuses noires nous font une haie d’honneur impressionnante… Plus loin ces vertigineuses parois se parent de fines et longues goulottes de glace, tandis que les sommets prennent une allure patagonienne. A leur pied les glaciers se succèdent ; un défilé de séracs menaçants, bleu translucide, taillés à la hache, posés en équilibre instable…
Une nature « brut de coffrage », inhospitalière, dans une ambiance austère renforcée par le vent qui hurlait dans les haubans du bateau !
Le soir Dion nous met à l’abris dans le frère tranquille du Dryglasky : Larssen Harbour… L’ange après le démon, ce petit canyon est un hâvre de paix ; nous y passerons trois jours…
Larsson Harbour abrite les derniers phoques de Wedell. Ils vivent normalement sur la banquise et celle-ci était présente encore il y a quelques décénnies. Avec le réchauffement climatique la glace a disparu du fjord, et bientôt ces magnifiques phoques, trop peu nombreux pour péréniser leur colonie, suivront le même chemin.
Leurs chants de sirène pénètraient la coque du bateau, et ont bercé chacune de mes nuits dans ce fjord intime à l’extrême sud de l’île…


21 octobre : Mount Senderens et traversée sur Trollhull : une des plus belles journées de ma vie d’alpiniste…
Nous avons eu le feu vert de l’administration anglaise pour tenter cette traversée ! Très peu de skieurs-alpinistes la font : soit à cause du mauvais temps très fréquent dans cette partie de l’île, ou parce que la récupération peut-être difficile sur la côte sud de l’île, dûe à la forte houle.
Tôt le matin le « mur » fermant le fjord Larssen Harbour est vite avalé et nous débouchons au soleil sur un petit plateau glaciaire. C’est une belle journée froide et ventée et nous sommes déterminés à grimper sur un des sommets qui nous entourent ! Ce sera le Mount Senderens (1200m), trônant au bout d’un glacier crevassé qui nous oblige une nouvelle fois à nous encorder, à la montée et la descente. L’arête finale que nous remontons en piolet et crampons, est d’une esthétique grisante, innoubliable…
Le décor n’en finit pas d’être somptueux, grandiose… Une ambiance de haute altitude, un univers glaciaire peuplés de pics acérés encapuchonnés de glace, semblant innaccessibles tellement leur versants semblent complexes… Et « en bas », la mer… turquoise comme aux Antilles !
L’émotion est forte, toute la journée, les cœurs débordent de cette beauté sauvage, inhospitalière mais totalement addictive…
L’arrivée sur Trollhull donne le vertige tellement on se sent au bout du monde… La seule terre plus au sud, c’est l’Antartique !
En cette fin de journée un gigantesque lenticulaire à quatre spires nous salue avec complicité… Cette journée divine était un cadeau du ciel ! merci de ta clémence…

23 octobre : la plage de Gold Harbour ; coup de foudre pour cette baie insolite !
Après deux jours de mauvais temps nous sommes partis du mouillage de Larssen Harbour pour remonter la côte Nord, jusqu’à Gold Harbour.
Gold Harbour est une très belle baie au dessin parfait, peuplée de milliers d’animaux (encore ???!!!...), fermée par un glacier suspendu au-dessus d’une haute falaise.
La lumière du soir était très douce quand nous avons mis pied à terre pour une immersion totale dans la faune habituelle, présente en plus grand nombre à cause de l’approche du pic de la période de reproduction.
L’activité des éléphants de mer était intense. Entre deux joutes territoriales un mâle a vainement tenté de s’accoupler avec une femelle récalcitrante qui l’a boudé sans rien lâcher ! C’était assez amusant de le voir se coller à la femelle, elle s’écarter et lui revenir à l’attaque, poser hypocritement sa nageoire sur le corps de celle-ci en espérant l’attendrir… Ca ne vous rappelle pas quelqu’un ?...ou quelqu’une ??...
Les bébés éléphants de mer eux sont attendrissants dans leurs enveloppes noires, pareil à un babygro taillé trop grand pour eux! Mais ils peuvent vite faire le festin des skuas et des pétrels géants qui guettent immobiles, souvent à moins d’un mètre des petits, à l’affût de la moindre faiblesse…

Nous sommes restés lontemps avec les jeunes manchots regroupés en nurserie…  Ce sont un peu les coqueluches des plages, gauches et naïfs, certains n’hésitaient pas à nous suivre un peu partout ! Leur duvet épais et brun leur donne l’aspect d’une peluche, et il faut vraiment se répéter qu’on n’est pas de leur monde pour ne pas céder à la tentation de les toucher !
De temps en temps quelques pingouins papous sortent de l’eau comme des fusées, après une nage rapide ponctuée de sauts comme font les dauphins.
Les papous sont plus petits que les royaux, le bec moins hautain et leurs bouilles plus friponnes laissent penser qu’ils pourraient être coquins !...
Les otaries mâles, imposantes (500kg) commencent à peupler les plages et à marquer leur territoire. En attendant la venue des femelles encore en mer, ils se mettent en poste, immobiles, le museau pointé vers le ciel comme pour se grandir au maximum, et impressionner leur voisin.
Partout des oiseaux volent, nagent, paradent !
Le skua est gris sombre et a le regard menaçant ! il assume parfaitement son rôle de charognard des plages….
Le petrel géant est un oiseau imposant, qui a la réputation d’être insatiable, goinfre ! Sa panse une fois trop pleine, l’handicape sérieusement au décollage, et il est obligé de « pédaler sur l’eau » pour s’arracher à l’attraction terrestre !
Si sa parade nuptiale est comique à souhait, celle des magnifiques cormorans est un accord parfait, au centième de seconde, de mouvements gracieux de leurs têtes au long cou… un moment rare de grâce pure…
Le vol du Damier du Cap ou celui du pétrel des neiges font rêver…  Ils dégagent une impression de légèreté, totale liberté… On a passé des heures à les regarder danser, en montagne ou en mer.
Enfin les albatros, oiseaux emblématiques des pôles, ne sont pas qu’une légende, même si nous en avons peu vu !
Le ? est une pure merveille tellement son plumage composé d’un riche dégradé de gris est doux et harmonieux à l’œil.
Le wanderer est l’un des plus grands oiseau au monde ! Chapeau bas quand on sait qu’il est capable de faire 8000km pour aller chercher la pitance de son oisillon...

 27 octobre : ascension de la pointe 1672m, Iris bay : Belle réussite à force d’obstination…

Il aura fallu des heures de lecture de carte, de recherches dans les documents narrant les explorations de l’île du milieu du siècle, plusieurs journées de repérage, d’échec à traverser le glacier Herz, une nuit sur le même glacier dans les bourrasques tempêtueuses, avant que l’ultime tentative se transforme en réussite !...
Rien d’héroïque ou d’extrême dans cette réalisation, juste la satisfaction d’avoir eu raison de persévérer, d’avoir dénicher un magnifique itinéraire à ski, logique et sûr….
Au sommet, en embrassant le panorama, je ressens fortement cette sensation d’accomplissement, d’être aller au bout d’un projet rêvé, né il y a quatre ans…

Aussi belle que puisse avoir été cette aventure, elle ne peut me faire oublier que le changement climatique est bel et bien en route…
Impossible de passer sous silence les 5 hivers secs que vient de vivre l’île, impossible de ne pas s’étonner d’avoir subi pluies et températures clémentes, là où on aurait dû avoir tempêtes de neige et froids glacials,
impossible de ne pas s’inquiéter, quand on observe sur la carte marine de l’écran de l’ordi, notre bateau naviguer sur des glaciers qui étaient là il y a encore 7 ans…
On peut ergoter sur notre part de responsabilité ou non dans le réchauffement climatique, mais on ne peut nier le fait même, de ce réchauffement.
Norvège, Islande, Mongolie, Groenland et aujourd’hui Géorgie du Sud… Sur toutes ces parties du monde proches des pôles j’ai vu les effets exacerbés de ce réchauffement.
Comment prendre en compte cette réalité et adapter mon mode de vie, mon travail et les déplacements liés à mon activité ? Si je perçois les décisions qu’il faudrait prendre je n’ai pas le courage de les appliquer, je n’ai pas encore de réponse « acceptable ». Mais au retour de ce voyage, je ressens encore plus fortement l’urgence d’en trouver….

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